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"Depuis 1999 et le populaire logiciel de partage de fichiers Napster, le P2P connaît une ascension fulgurante au sein de la communauté des internautes.
Quon se le dise : le P2P nest pas illégal en soi, cest lutilisation qui en est faite qui lest !
Le P2P est avant tout un type de réseau. Chaque ordinateur appartenant au réseau peut à la fois partager et recevoir des ressources. Deux ordinateurs peuvent donc dialoguer et échanger des données sans intermédiaire, cest-à-dire sans serveur propre qui sert de relais entre lesdits ordinateurs.
Le P2P présente des avantages qui ont largement contribué à son succès :
* dune part, le coût est relativement réduit : il suffit dordinateurs, dun logiciel généralement gratuit qui permet léchange de fichiers entre ordinateurs (Napster, Gnutella, KaZaA ou encore Emule), dune connexion à haut débit,
* dautre part, la mise en place dun tel réseau est réellement simple. Nul besoin dêtre ingénieur en informatique pour faire du P2P !
Les utilisateurs dun réseau peer-to-peer mettent gratuitement leurs fichiers (musiques, films, jeux vidéo, logiciels) à disposition de quiconque. Il résulte de cette mise en commun une bibliothèque mondiale sur laquelle se trouvent le dernier CD en vogue, le dernier film à grand succès qui nest pas encore sorti à la vente ou des perles rares introuvables dans le commerce.
Les problèmes économiques et juridiques commencent lorsque ces fichiers sont illégaux : les internautes qui mettent en partage des fichiers sur lesquels ils ne disposent daucun droit de diffusion, de reproduction, etc.
Le P2P suscite de nombreuses critiques et interrogations. Le Forum des Droits de lInternet a notamment mis en place une tribune sur le sujet. Un dossier de référence émanant du Forum et datant du 9 septembre 2003 fait une synthèse des enjeux juridiques du P2P. La SACEM et ADAMI ont également apporté leur contribution aux débats afin dendiguer voire déradiquer ces téléchargements illégaux duvres protégées.
Alors que la France connaît ses premières plaintes et condamnations en la matière, que la Loi sur la confiance dans léconomie numérique (LEN) du 21 juin 2004 institue un véritable droit de lInternet et que la Loi Informatique et Libertés (LIL) vient dêtre modifiée, une mise au point sur le phénomène P2P simposait.
1. Des téléchargements et partages illégaux via le P2P
*Copie privée, contrefaçon, piraterie et recel
Certains internautes qui téléchargent des fichiers via un réseau P2P déclarent ne réaliser quune copie privée de loeuvre protégée (musique, film, etc.), cest-à-dire une copie autorisée par la loi. Ils ne copient un fichier trouvé sur lordinateur dautrui quà des fins strictement privées. De plus, léchange serait qualifié de privé car il est effectué seulement entre deux ordinateurs du réseau comme sil sagissait de lenvoi dun courriel.
Cet argument est-il valable ?
La réponse est négative.
En effet, selon larticle L122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, « lorsque luvre a été divulguée, lauteur ne peut interdire : 1°Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille ; 2° Les copies ou reproductions strictement réservées à lusage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective [ ] ».
La copie dune uvre via un réseau P2P nest pas privée et nest donc pas légalement autorisée.
Linternaute qui copie des fichiers disponibles sur Internet effectue un acte de reproduction à des fins personnelles. Mais il est à noter que la copie privée nest valable que si la personne possède luvre originale : le CD ou le DVD par exemple. Or, linternaute qui télécharge un fichier le fait pour avoir luvre quil na pu et ne veut sacheter.
Le fichier copié est illicite car diffusé sur Internet sans autorisation. Lillicéité du fichier a donc des répercussions sur la copie dudit fichier qui est donc elle-même illégale.
En effet, linternaute qui met à disposition ses fichiers aux autres internautes est également en illégalité car il reproduit une uvre sans autorisation de lauteur de luvre. La reproduction « consiste dans la fixation matérielle de luvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public dune manière indirecte » (article L122-3 du CPI). Larticle L122-4 du CPI précise que « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de lauteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite ». Dans une ordonnance de référé du 14 août 1996 (affaire Brel), le Tribunal de grande instance de Paris a déclaré quune reproduction « par numérisation duvres [ ] protégées par le droit dauteur susceptible dêtre mise à la disposition de personnes connectées au réseau Internet doit être autorisée expressément par les titulaires ou cessionnaires des droits ».
Le partage et le téléchargement de fichiers portent atteinte au droit de la propriété intellectuelle des auteurs et ayants droit.
Ces actes sont qualifiés de contrefaçon et punis à larticle L335-2 du CPI. La loi Perben II du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a renforcé les peines applicables en matière de contrefaçon, de piraterie informatique. Désormais, le délit de contrefaçon est puni de 3 ans au lieu de 2 ans demprisonnement et de 300 000 euros damende au lieu de 150 000 euros.
Il est à noter que les délits commis en bande organisée sont punis de 5 ans demprisonnement et de 500 000 euros damende.
Par ailleurs, le fait de partager et conserver tous ces fichiers illégaux peut être considérés comme du recel. Le recel est le fait de « dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office dintermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient dun crime ou dun délit. Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen dun crime ou dun délit » (article 321-1 du Code pénal).
Le recel est puni de 5 ans demprisonnement et de 375 000 euros damende.
*Responsabilités
Il ne fait aucun doute que linternaute qui télécharge et partage des fichiers illégaux est responsable de ses actes. Il pourra être poursuivi pour délit de contrefaçon, recel voire délit en bande organisée.
Jusquà présent, en France, seuls les internautes qui tiraient profit de ces téléchargements pouvaient être sanctionnés. Dans la pratique, linternaute qui téléchargeait seulement des fichiers, sans les partager, nétait pas la cible des autorités judiciaires. Il en va désormais différemment.
En effet, le 29 avril 2004, le Tribunal correctionnel de Vannes a condamné 6 internautes français à des peines de prison avec sursis et des amendes de plusieurs milliers deuros pour avoir téléchargé des films sur Internat via un réseau P2P.
Le 28 juin 2004, la société civile des producteurs phonographiques (SCPP) est allée plus loin dans les poursuites : elle a déposé une vingtaine de plainte contre X à Paris et en province. Le directeur de la SCPP explique que les dossiers partagés ont été regardés au hasard. Ils ont relevé les adresses IP et les pseudos des utilisateurs de peer-to-peer pour les donner à la police.
La CNIL sest tout de suite interrogée sur la validité des poursuites engagées contre les internautes. Les preuves relevées par la SCPP sont des données nominatives (adresses IP), à ce titre si elles ont fait lobjet dun traitement informatique, elles auraient dû être déclarées à la CNIL. La SCPP se défend en énonçant que les adresses IP ont été relevées au hasard et nont fat lobjet daucun traitement informatisé. Ce sera à la justice de se prononcer prochainement sur la validité de telles preuves.
Outre la responsabilité évidente et étendue des internautes, la mise en cause des créateurs de logiciels peer-to-peer a été envisagée, notamment dans la célèbre affaire Napster. Ce logiciel Napster reposait sur une technologie centralisée permettant le contrôle des contenus échangés. Cest sur ce fondement que Napster a été condamné aux Etats-Unis (239 f3D 1004, 9th Cir. 2001). Napster pouvait contrôler ce qui était diffusé sur le réseau P2P, il savait donc que les fichiers étaient illégaux ; il était donc coupable.
Il en a été autrement pour laffaire KaZaA qui repose sur un système entièrement décentralisé. Il était donc impossible techniquement de contrôler le contenu des fichiers téléchargés. Cest la raison pour laquelle le 28 mars 2002 et le 19 décembre 2003, les tribunaux néerlandais ont déclaré que KaZAa ne pouvait être responsable des utilisations illicites qui étaient faites de son logiciel.
Ces décisions étaient prévisibles : à partir du moment où le contenu des fichiers téléchargés ne peut pas être contrôlé, on ne peut condamner la société créatrice du logiciel P2P. En lespèce, le logiciel nest pas illicite en soi, cest lutilisation qui en faite qui lest. La Cour suprême des Etats-Unis avaient déjà rendu une décision similaire en indiquant que les infractions commises par les utilisateurs denregistreurs vidéo ne pouvaient être imputées aux fabricants.
En matière de téléchargements illégaux via un réseau P2P, la responsabilité des intermédiaires techniques (FAI et hébergeurs) peut être envisagée.
Avec la loi sur la confiance dans léconomie numérique du 21 juin 2004, il apparaît que ces prestataires qui ont une connaissance effective dun contenu illicite sur le réseau Internet doivent agir promptement afin de ne pas voir leur responsabilité pénale et civile engagée. En effet, larticle 6-I-2 a contrario prévoit que les prestataires techniques peuvent voir leur responsabilité engagée si ils ont eu « effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits ou circonstances faisant apparaître ce caractère », ou si ils en ont eu connaissance mais nont pas « agi promptement pour retirer ces données ou en rendre laccès impossible ».
Les prestataires techniques ont donc une obligation de célérité. Bien que nayant pas une obligation générale de surveillance, sils sont au courant ou ont été prévenus par un tiers que des fichiers illégaux étaient disponibles via un réseau P2P, ils devront agir rapidement pour éviter de voir leur responsabilité engagée et dêtre déclaré complices desdits téléchargements et partages illicites.
2. La mise en place dun véritable plan anti-piratage
*La Charte dengagements de lutte anti-piraterie du 28 juillet 2004
La concertation entre le gouvernement, les titulaires des droits sur les uvres téléchargées et partagées illégalement et les fournisseurs daccès devrait favoriser la lutte contre les échanges de fichiers protégés.
Le 28 juillet 2004, une charte anti-piraterie a été signée sous légide de M.Sarkozy, ministre de léconomie. LADAMI et SPEDIDAM, organisations qui représentent les artistes interprètes, nont pas signé cette charte.
Cette charte prône le développement de loffre légale de musique en ligne. Cette offre légale est préconisée depuis longtemps par la SACEM. Cette dernière a dailleurs précisé, le 7 juillet 2004, dans sa contribution au débat initié par le Forum de lInternet, que cette offre légale garantissait aux utilisateurs une action en toute légalité et une garantie en termes de qualité de laccès aux uvres. I-Tunes, le site dApple offre plus de 700 000 titres de musique et permet ainsi de répondre, pour un coût abordable, aux exigences de linternaute. Depuis juin 2004, loffre I-Tunes ne se limite plus aux Etats-Unis, lEurope bénéficie de ladite offre.
Cette offre légale présente des avantages mais est encore peu développée et souvent incompatible techniquement avec le matériel découte acheté par le consommateur.
Par ailleurs, la charte a réaffirmé le respect de la propriété intellectuelle et la lutte contre la piraterie numérique. Les internautes doivent être sensibilisés et responsabilisés face au problème du P2P. Beaucoup dentre eux savent que ces téléchargements et partages duvres sont illégaux mais ne mesurent pas létendue réelle du préjudice quils causent : ils privent lauteur dune uvre dun revenu légitime quil est en droit de recevoir.
La Charte prévoit donc que les FAI sengagent à mener une campagne de communication auprès de leurs abonnés afin de les sensibiliser et vanter les mérites dun téléchargement légal de musique en ligne.
Ils auront donc une obligation dinformation : un message automatisé pourra être envoyé à linternaute qui télécharge illégalement des fichiers protégés. Il est également question dun filtrage des réseaux P2P. Ce filtrage pourrait se présenter sous forme de contrôle parental, avec déclaration volontaire des internautes. Les modalités de ce filtrage seront déterminées ultérieurement : rien na encore été arrêté.
*Larsenal juridique de la LEN, de la LCE et de la LIL
La loi sur la confiance dans léconomie numérique du 21 juin 2004 (LEN) fourni aux personnes lésées par ces téléchargements illégaux (auteurs, société dauteurs, etc.), un moyen de stopper, en urgence, les comportements illicites.
En effet, larticle 6-I-8 de la LEN énonce que « lautorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, (aux prestataires techniques : FAI et hébergeurs), toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu dun service de communication en ligne ».
Le juge pourra donc imposer aux hébergeurs et FAI un filtrage des contenus contrefaisants diffusés via Internet. Il pourra en urgence leur ordonner de prévenir ou mettre fin aux infractions commises sur le réseau.
La loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services audiovisuels (LCE) prévoit, par ailleurs, la possibilité pour le FAI de résilier unilatéralement le contrat dabonnement dune personne condamné pour piraterie.
Enfin, la loi Informatique et Libertés (LIL) modifiée récemment prévoit en son article 9 la possibilité à certaines personnes morales de constituer un fichier dinfraction permettant de recenser, via notamment leur adresse IP, les personnes qui se livreraient au téléchargement de fichiers illégaux.
Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 29 juillet 2004, a déclaré conforme à la Constitution la possibilité donnée « aux sociétés de perception et de gestion des droits d'auteur et de droits voisins, mentionnées à l'article L. 321 1 du code de la propriété intellectuelle, ainsi qu'aux organismes de défense professionnelle, mentionnés à l'article L. 331 1 du même code, de mettre en oeuvre des traitements portant sur des données relatives à des infractions, condamnations ou mesures de sûreté ». La mise en place de tels fichiers tend à lutter contre les nouvelles pratiques de contrefaçon qui se développent sur le réseau Internet. Le Conseil constitutionnel a précisé que cette disposition répond ainsi à l'objectif d'intérêt général qui s'attache à la sauvegarde de la propriété intellectuelle et de la création culturelle. Les données ainsi recueillies ne pourront, en vertu de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, acquérir un caractère nominatif que dans le cadre d'une procédure judiciaire et par rapprochement avec des informations dont la durée de conservation est limitée à un an. Cette création des traitements en cause est subordonnée à l'autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés en application du 3° du I de l'article 25 nouveau de la loi du 6 janvier 1978.
* Les protections techniques et le projet de loi sur le droit dauteur et les droits voisins
Lindustrie phonographique et cinématographique met de plus en plus en uvre des mesures de protection technique des CD audio, DVD, CD-ROM pour lutter contre léchange de fichiers contrefaisants. Il sagit de systèmes permettant dencadrer les utilisations dune uvre ; il peut sagir de codes daccès, de cryptage, de brouillage ou encore de watermarking. Ces protections évitent que les uvres soient copiées illégalement. Ces mesures de protection technique posent de nombreux problèmes : il est parfois impossible pour le consommateur découter, de regarder, luvre quil a acheté ainsi que deffectuer la copie privée autorisée de ladite uvre ! Certains systèmes de protection ont, en effet, créé des problèmes de lecture sur des autoradios et chaînes hi-fi ! La société EMI a dailleurs été condamnée par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre, le 24 juin 2003. Les consommateurs navaient pu écouter le CD audio de Liane Foly, le préjudice a été évalué à 10 000 euros.
Un projet de loi sur le droit dauteur et les droits voisins portant sur la transposition de la directive européenne du 22 mai 2001 a été émis. Il devrait réglementer les problèmes, les incompatibilités et les restrictions dusage introduites par les mesures de protection technique sur les CD et fichiers numériques.
*La mise en place dune licence légale ?
ADAMI, dans sa participation aux réflexions du Forum de lInternet du 27 juillet 2004, préconise ladaptation du « régime de la rémunération pour copie privée au téléchargement ». Elle propose de compléter les dispositions des articles L311-4 et L311-5 du Code de la Propriété Intellectuelle afin quune rémunération forfaitaire soit prélevée sur lensemble des revenus des FAI (abonnements, publicité), etc.). Chaque uvre téléchargée ferait lobjet dune rémunération des ayants droit qui serait instituée en compléments des rémunérations directes perçues auprès des sites légaux.
Cette mesure fait lobjet de vives critiques de la part de la SACEM. Cette licence légale irait à lencontre de la directive européenne du 22 mai 2001 qui dispose, en son article 3.1, que « Les Etats membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif dautoriser ou dinterdire toute communication au public de leurs uvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à disposition du public de leurs uvres de manière que chacun puisse y avoir un accès de lendroit et au moment quil choisit individuellement ». Cette licence légale ne respecterait donc pas le droit exclusif de lauteur de luvre et tendrait à minimiser lintérêt des offres licites.
La mise en place dune telle licence légale na pas encore été officialisée et suscite de nombreuses réactions en sa défaveur. Elle serait pourtant un bon moyen de légaliser les téléchargements via les réseaux P2P en répondant aux exigences de tous : les auteurs seraient rémunérés, les internautes auraient la possibilité davoir une offre licite, complète et illimitée.
Le P2P na pas fini de défrayer la chronique tant les enjeux économiques et juridiques sont grands. De nombreuses actions en justice risquent de plus en plus de voir le jour. Bien quil nait pas été prouvé de manière irréfutable que ces téléchargements et partages via les réseaux peer-to-peer aient des incidences sur la vente légale des uvres, il nen reste pas moins quils vont à lencontre du droit dauteur. Ils prennent une ampleur internationale non négligeable portant préjudice aux droits des auteurs."
Texte extrait du site : http://www.murielle-cahen.com/p_p2p.asp
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